Thèse en physique des plasmas

Premier contact

Lors de mon second stage au CERGA, j'annonçai que j'allais entreprendre un DEA de physique des plasmas, et que je voulais continuer l'astrophysique. On me conseilla alors de prendre contact avec un labo situé à Issy les Moulineaux, le CRPE. J'écrivis une lettre de motivation à son directeur, vers le mois d'octobre. Je reçu en échange deux propositions de stages, dont une fondée sur la simulation numérique, un outil de travail que j'avais abordé lors de mes études, et qui m'avait beaucoup plu.

Conformémént à ce que j'avais appris en école d'ingénieur, je m'étais préparé à un entretien d'embauche avec des questions sur ma motivation, sur ma capacité de travail etc... Au lieu de cela, deux chercheurs m'acceuillirent, me présentèrent les activités scientifiques du laboratoire, et nous passâmes deux heures à discuter sur les environnements planétaires, les phénomènes auroraux, et les instabilités de la magnétospause.

Je décidai de faire mon stage de DEA ici. J'y fis aussi ma thèse.

Mon sujet

Les aurores polaires sont la seule manifestation visible de l'activité de la magnétosphère. Elles sont dues à des particules (des électrons surtout) qui sont accélérées vers la Terre, à des énergies de quelques keV (c'est à dire comme si elles avaient subi un champ électrique de quelques milliers de Volts). On avait découvert, gràce à des sondes spatiales (GOES, DE1) que cette accélération avait lieu vers 10 000 km d'altitude. Or justement, une mission, dirigée par des Suédois venait d'être envoyée pour étudier ces régions. Le mécanisme d'accélération était inconnu, et on aurait bientot de nouvelles données. Au commencement de ma thèse, la sonde Viking fournit des données qui servirent effectivement de fondement à mon travail. Je devais simuler un modèle où des faisceaux d'ions auraient provoqué une instabilité du plasma, dont une des conséquences aurait été la création de petites structures associées à des champs électriques localisés qui pourraient être la cause de cette accélération.

Se mettre dans le bain

On trouva un financement pour ma thèse. Je m'installai près d'Issy les Moulineaux.

Il fallu d'abord commencer par lire un tas de littérature (dite de rang A) à laquelle je ne comprenais rien. Puis certains manuels plus accessibles. En fait, ces lectures me servirent surtout à me faire comprendre qu'il y avait un certain nombre de choses qu'il fallait que je sache. Pour ce qui était de les comprendre, je découvris qu'il était beaucoup plus efficace de discuter avec les chercheurs (ceux du labos, ou ceux rencontrés lors des écoles d'été), qui avaient déja compris ces choses. Quand on bute sur un paragraphe, on a beau le relire, on relit toujours la même chose. Quand on discute avec quelqu'un, il peut reformuler son explication, ou la faire dévier vers le point précis qui fait qu'on n'avait pas compris.

Il y a des choses que l'on comprend à un moment, puis qu'on ne comprend plus. On y réfléchit encore, et parfois, on comprend à nouveau, mais mieux. On se rend compte que tout ce qu'on avait appris dans les études était simplifié. Les problèmes pour les étudiants se résolvent en quelques minutes ou quelques heures. Mais, les gens qui ont résolu ces problèmes pour la première fois y ont parfois passé des mois ou des années.

Les vrais problèmes scientifiques sont longs à résoudre. Et la culture scientifique, même pour un domaine assez restreint, est longue à aquérir. Je me considère toujours (10 ans plus tard) comme assez inculte dans mon domaine (il faut se juger par rapport aux autres). Je sais faire deux ou trois trucs que les autres ne savent pas faire, c'est tout.

Pour faire de la simulation numérique, il faut aussi se familliariser avec un environnement informatique qui est, presque par définition, insuffisant : la simulation numérique tends à requérir toujours le maximum des ressources de calcul disponibles ; et encore on simplifie le problème.

Dans mon cas, je travaillais depuis un terminal VT100 (puis un mieux avec des couleurs et du graphisme) sur le CIRCE qui était à l'éqpoque un des grands centres de calcul du CNRS. Il y avait un IBM 3090, il fallait tout lui spécifier, il ne comprennait rien. Mais il calculait vite.

Deuxième année

En deuxième année de thèse (interrompue par une année passée à brosser des camions pour l'armée), j'avais à peu près compris ce que je devais faire. Ce fut une année de calculs, programmation et vérifications.

Le CIRCE changea l'IBM pour un calculateur plus récent (un VP200). Je réalisai qu'il est important d'écrire des programmes portables (c'est à dire écrits avec un langage et des outils les plus standard possibles).

J'obtins quelques résultats préliminaires que je pu publier et présenter à un congrès.

Rédaction

Il fallut rédiger un second article, puis le manuscrit de la thèse.

Ecrire un article scientifique est un exercice assez spécial. Il y a un cadre stylistique très strict auquel il faut se plier, et que l'on ne comprend pas toujours bien quand on manque d'expérience. En plus, il faut écrire les articles en anglais (sinon on se limite à une centaine de lecteurs potentiels au maximum). De plus, il faut écrire toutes les explications nécessaires, mais rien d'inutile. Quand on est en thèse, il y a des explications qu'on aurait bien envie d'écrire car on a mis du temps à les comprendre. Mais il ne faut pas, car tous les chercheurs expériementés les connaissent. Comment le savoir ? Par contre il y a des choses que l'on a examinées pendant des semaines ou des mois et qui finissent par nous parraître naturelles. On croit qu'il n'est pas nécessaire de les dire. Eh bien c'est justement celles-ci qu'il faut décrire en détails. En thèse, on a (du moins j'ai eu) du mal à comprendre ce que les chercheurs savent et ne savent pas.

Pour la thèse, on choisit ce titre, dont seuls les mots de liaison sont compréhensibles pour une personne normalement cultivée :
Effet des ondes cyclotroniques ioniques sur le plasma auroral : striation du plasma et production de doubles couches faibles.
La thèse fut rédigée en français, et accompagnée des deux articles. Elle fut tirée à quelques dizaines d'exemplaires. Mais lue à combien ? [commentaire en février 2008 : Je devais avoir un sérieux coup de blues le jour où j'ai écrit ça !]

Bilan provisoire

J'appris en thèse une métier que j'avais envie de continuer. Je réalisai aussi qu'en science, il n'y a pas que des héros comme Newton, Poincarré, Planck ou Einstein. Je me fixai l'objectif modeste d'être un artisan consciencieux, et je laissai ma fierté au vestiaire.



auteur : Fabrice Mottez, de la rédaction du web CETP. version HTML: novembre 2000. Dernière révision : 2008.
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