Six lycéens, une galaxie : quelle distance les sépare ?

 

 

Chercheur en physique spatiale, je rencontrai des promoteurs du projet « l’Univers à Portée de Main » lors d’un colloque. Ils m’en parlèrent avec dynamisme et me proposèrent d’y participer. Me laissant emporter par leur enthousiasme, j’acceptai.

 

Trois mois plus tard, je me retrouvai devant une classe de première scientifique au lycée de l’Essouriau au Ulis (Essonne). Je commençais un exposé sur la mesure des distances dans l’univers et finissais par une proposition : mesurer avec des élèves la distance d’étoiles céphéides, et déduire ainsi quelques notions sur les échelles de distances dans l’univers. Trois filles et trois garçons se proposèrent : Mickael Costa Da silva, Sana Bentebbal,  Florian Thepault, Kahdija Jaakou, Clément Sfartman, Sonia Aissi. Nous travaillâmes dans le cadre des Travaux Personnels Encadrés (TPE), avec l’aide d’une professeur d’anglais (utile pour naviguer sur la Toile) et deux professeurs de Mécanique et d’Electrotechnique (chargés des TPE pour l’ensemble de la classe).

 

Pour quatre élèves, l’astronomie était une nouveauté absolue. Il leur fallut apprendre les rudiments de l’astronomie mais aussi des notions liées aux mathématiques et à la physique : Qu’est-ce que l’éclat d’un astre, sa luminosité ? En quelle unité se mesurent-ils ? Comment l’éclat diminue-t-il avec la distance de l’observateur ?  Conformément à l’esprit des TPE, je tentai (aidé par les professeurs) de fournir aux élèves des documents pertinents, des adresses de sites sur la Toile, et de répondre à leurs questions, sans leur faire un cours.

 

De mon coté, je devais résoudre quelques problèmes : notre projet se fondait initialement sur l’acquisition d’images par un télescope  commandé à distance (via des requêtes envoyées sur un site web). Mais la foudre lui était tombé dessus à la fin de l’été ; au commencement du projet, il n’était pas totalement réparé. Il fallût trouver, dans l’urgence, une autre source de données utilisables. Avec l’aide d’Anne-Laure Melchior (Université Paris 6), nous demandâmes à diverses équipes de recherche des séries d’images avec des céphéides. Les membres de l’équipe OGLE répondirent favorablement à notre requête.

 

Le télescope OGLE (Optical Gravitational Lensing Experiment, américano-polonais) prend chaque nuit des photos détaillées de champs riches en étoiles pour détecter le passage de petits astres compacts. Les chercheurs de cette équipe ont découvert de nombreuses naines brunes, et plusieurs possibles planètes extra-solaires (dont une confirmée). Ils ont aussi référencé des milliers d’étoiles variables, dont des céphéides. Nous en choisîmes une.

 

Grâce à eux, nous disposions d’une vingtaine d’images prises dans le Petit Nuage de Magellan, de l’accès à leur base de données et à leurs publications. Les élèves de l’Essouriau furent les premiers lycéens au monde à travailler sur des données de cette expérience.

 

L’exploitation réelle des images permit au élèves de vraiment comprendre le projet. Nous disposions d’ordinateurs et du logiciel HOU (Hands On Universe). Ce logiciel permet de visionner des images astronomiques codées au format FITS (standard professionnel), et d’opérer quelques traitements, dont des mesures de photométrie.

 

Le principe est simple : un diagramme, nommé PL, donne la luminosité absolue moyenne des céphéides en fonction de la période de leurs variations d’éclat. En faisant de la photométrie sur plusieurs images de la céphéide, on détermine la période des variations de son éclat, ainsi que son éclat apparent moyen. Le diagramme  PL permet de connaître la luminosité absolue de l’étoile. La comparaison de la luminosité absolue avec l’éclat apparent permet de déduire la distance.

 

Avec le logiciel HOU, les élèves relevèrent les brillances d’une céphéide et d’une ou deux étoiles de référence. A l’aide de quelques règles de trois, ils construisirent la courbe des variations de l’éclat apparent de la céphéide, calculèrent son éclat moyen, et la distance. La comparaison avec la distance réelle du Petit Nuage, environ 210 000 années lumière, montra que nos résultats (de l’ordre de 270 000 années lumière) la surestimaient, mais l’ordre de grandeur était très convenable. La surestimation de la distance est due à un affaiblissement de l’éclat apparent dû non seulement à l’éloignement, mais aussi à la diffusion de lumière par des poussières interstellaires.

 

Les élèves présentèrent un rapport et un exposé de leur travail. Ils employèrent des outils  multimédia variés.  Cela constitua, en marge de l’aspect strictement scientifique, une initiation intéressante. Au lendemain de leur soutenance, les élèves se rendirent au « salon des jeux et de la culture mathématique » à Paris. Ils présentèrent leur projet aux visiteurs, logiciel, tableurs et images à l’appui.

 

Selon les élèves, le sujet paraissait a priori difficile. Les recherches documentaires furent délicates du fait de leur manque de connaissances en astronomie et en photométrie. La réalisation des mesures qui s’achevait par le calcul de la distance de l’étoile leur plut.  Travailler sur des documents scientifiques authentiques fût visiblement une source de satisfaction, mais tous les élèves nous firent part néanmoins du regret de n’avoir pu prendre eux même des images avec le télescope commandé via internet.  Lors des exposés, certains découvrirent le plaisir inattendu de communiquer à autrui ce qu’on a réussi à faire et à comprendre, spécialement lors du salon des mathématiques.

 

Fabrice Mottez (CETP/IPSL/CNRS).

 

Liens :

OGLE (en anglais) : http://sirius.astrouw.edu.pl/~ogle/

salon des jeux et de la culture mathématique : http://www.jeux-mathematiques.org/

 

 

 

L’environnement de travail du logiciel HOU-VF. Trois images étudiées par les élèves sont ouvertes. Dans la plus grande, les nombres en rouge sont le résultat des mesures photométriques. La céphéide est en haut à droite, les deux autres étoiles servent de référence.